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LE FILM

La bande annonce est dispo sur dailymotion

couverture de Doto Silence

Synopsis


2007, Lomé, capitale du Togo. Deux ans après le dernier coup d'état qui a secoué le pays, "on demande aux gens de faire un trait sur le passé". Pourtant "trouver un petit emploi est devenu un casse-tête chinois"... Portrait en-chanté d'une ville qui se souvient et espère.

Diffusions

  • Hip Hop Dayz (Lille décembre 2007)
  • Festival Quintessence (Bénin janvier 2008)
  • Hip Hop 'n co (Poitiers mars 2008)
  • Festival des Cinémas d'Afrique (XL) (Bruxelles avril 2008)
  • Festival l'Acharnière (Lille mai 2008) (prix du CRRAV)
  • L'hybride (Lille juillet 2008)


Fiche technique

  • Réalisation: Jérémie Lenoir
  • Images: Simon Lienhard, Jérémie Lenoir
  • Son: Edsik
  • Montage: Jérémie Lenoir
  • Musique: Ali Diali, Anno Domini, Nueve Millas
  • Production: Un Trou Dans Le Mur / Dzoku Kay
  • Année: 2007
  • Format: DV


Critique du film suite à sa diffusion à Lomé


Omerta, malgré moi

Des paroles, une platine, un micro, des vinyles, c'est tout ce qu'il faut pour faire du rap. Parfois même moins ; comme le cas de ces jeunes de Lomé qui n'ont presque rien mais veulent exprimer leur angoisse et leur désespoir. C'est entre quatre murs d'une chambre sombre, sans décor qu'un rappeur, coiffé d'écouteurs et articulant des paroles apparaît en première scène du film. Ils sont nombreux à se lancer dans le rap à Lomé : Do'Ng, Bal 2 Rime, Dellah, Sista Kash... Simple prénom ou pseudonyme, ils ont tous quelque chose à dire. Rappeurs de l'ombre ou de surface, c'est une occasion pour parler de leur condition. Pourquoi ils sont si nombreux ? Effet de mode ? Soit, la mode chez les jeunes de Lomé, c'est la pauvreté et puisque le rap est l'instrument de résistance le mieux adapté pour échapper à la défonce, la prison ou le cimetière, ils l'ont préféré à la résignation. Colonialisme, piraterie, misère, dictature, tels sont les quelques thèmes de leurs chansons.

Des paroles, ils en ont ; des plus poétiques aux plus politiques. Des platines, ils n'en ont plus besoin depuis qu'ils se sont rendus compte qu'ils auront beau embellir leur musique, il n'y a aucun changement. Ils sont dans un pays qui les pousse à l'introversion et ne leur autorise que le rap poétique. Le rap politique est à prendre avec des pincettes s'ils ne veulent pas faire empirer leur condition de vie. Et pourtant, c'est de la politique qu'ils veulent parler dans leur musique car ils savent qu'elle est l'auteur de leur malheur.

Les deux seules solutions : c'est tourner autour du pot, en vouloir puis se taire ou dénoncer et s'exiler. Ces jeunes rappeurs ont privilégié la première option car dans la seconde, l'exil est synonyme de "se jeter dans la gueule du loup" puisque la France qui est sensée être le pays d'exil est partenaire de leur propre pays qui les opprime.Ceci n'a pas échappé au réalisateur qui, pour rendre son œuvre complète, n'a pas hésité à insérer des images d'archives qui dénoncent "une démocratie dictatoriale" d'une part et l'assistance à ce régime d'autre part. Le quartier Bè, le campus universitaire à Lomé, différents icônes de la rébellion sont les lieux où ces jeunes se retrouvent pour raconter leur douleur s'ils ne la racontent pas à la rue. La rue, quant à elle, est devenue le territoire d'expression de ces rappeurs. D'ailleurs ils ont toujours eu ce dont personne ne voulait. Dans un panoramique montrant la misère, ces jeunes au visage vieilli par la souffrance marchent aux pas ralentis dans les dépotoirs de la capitale. Ils l'appellent "Lomélancolie". Il faut avoir la force d'un samouraï pour contenir sa rage de vivre. Parce qu'il n'y a plus aucun espoir en bas, il faut regarder en haut pour le salut. En retournant la syntaxe, en triturant le français, en assaisonnant de son dialecte, ces jeunes trouvent quand même une place pour Dieu dans leurs paroles. Loin d'imiter le rap de l'oncle Sam, ils ont donné un style spécifique au rap tout en se fixant sur les critères de base. Ce qu'ils voudraient imiter, c'est ce décor de grosses cylindrées du pays de l'oncle Sam mais ils n'ont droit qu'à un vélo et au décor naturel d'ordures. C'est cette histoire que le réalisateur a voulu raconter dans un style "caméra direct" et la meilleure façon de la raconter est de donner la parole à ces jeunes. Mais seulement voilà, ils sont dans un pays où ils ont le droit de tout dire mais exclusivement à un certain niveau. Ils ont préféré DOTO.

Par Sitou Ayité
Sources: http://www.africine.org/?menu=art&no=7622


Interview de Jérémie Lenoir


Pourquoi avoir choisi le titre Doto pour votre film, vu que le rap a pour réputation "le refus de se taire" ?

C'est une façon d'inverser les rôles, de changer la place de celui qui parle et de celui qui écoute. "Silence ! On retourne" si vous voulez.

Comment s'est fait la sélection des rappeurs qui devaient tourner avec vous ? Il y en a tellement à Lomé !

En fait je suis venu à Lomé sur la base de deux contacts. Fo-Mé de Dzoku Kay (avec qui j'entretenais une correspondance internet depuis 2004) et Bobby de Djanta Kan que j'ai brièvement rencontré à Paris. J'ai demandé à ces deux rappeurs de me présenter leurs collègues [ndlr : Dzoku kay et Djanta Kan sont des groupes de rap togolais]. Ils se sont répartis un programme sur deux semaines (durée de notre séjour). Nous avons ainsi rencontré de nombreux groupes et improvisé avec eux le tournage de Doto. Qui est plus qu'un film de 53 minutes. C'est aussi un objet palpable, un dvd qui contient trois heures de film. Et un site internet.

Vous sentez-vous concerné par la misère de ces jeunes ?

Oui. Nous vivons dans un système d'échanges internationaux qui est très bien résumé dans Le Cauchemar de Darwin je trouve : les avions arrivent vides ou remplis d'armes, ils repartent chargés de nourriture. L'absurdité et la criminalité de la gestion mondiale des ressources ne font que s'accentuer. Il y a une nouvelle de Buzzati qui parle d'un gars qui achète une veste au diable. Chaque fois qu'il met la main dans la poche, il en ressort de l'argent. Au même moment, à chaque fois, une somme équivalente est dérobée quelque part dans le monde, violemment. Je me réfère à ce genre de fables.

Ces jeunes dans la plupart de leurs chansons accusent le pouvoir politique de leur pays et la colonisation, spécifiquement celle de la France. Vous êtes Français, est-ce une manière à vous de dire l'immixtion de votre pays dans la vie politique togolaise, comme l'affirment des analystes ?

La France a installé et soutenu Eyadema pendant 40 ans. À sa mort en 2005, elle a cautionné le coup d'État familial. Je vois ça comme un jeu entre quelques dizaines de personnes, un jeu qui se fait au mépris de toute une population. Pour l'argent (et le pouvoir), mais il entre aussi là-dedans une bonne dose de sadisme et d'esprit de laboratoire. Il y a un reportage que l'on peut voir en ligne sur l'histoire des rapports France-Togo [ cliquez ici ].
Le Togo est un cas très spécifique dans l'histoire de la colonisation française, une relation qui dure jusqu'à nos jours. Ce rappel des FAITS est aussi pour moi une façon de transformer le film en miroir lors des projections en France. Encore une question d'inversion.

Comment ont réagi ces jeunes lorsqu'ils se sont aperçus que c'est un Français qui vient les faire parler de la colonisation française ?

Très simplement pour certains. Pour d'autres c'était l'occasion d'un défoulement. Pour d'autres encore c'était gênant, comme si c'était un piège. Certains m'ont dit adorer la France et la colonisation. Je pense que la colonisation a toujours lieu et du coup je m'intéressais plus particulièrement aux évènements de 2005, parce que c'est comme si c'était aujourd'hui. Beaucoup de jeunes qui sont dans le film ont perdu des proches dans cette affaire, des parents. Ils ont dû courir pour échapper aux bastonnades. Mais évoquer cela c'est frôler la limite des nouvelles tolérances politiques et émotionnellement c'est dur. On a travaillé (et on continue) au dessus du fossé historique qui nous sépare et qui est rempli d'horreurs. Ce ne sont pas des questions théoriques.
"Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse" disait Césaire. Quand je tourne un truc comme ça je ne m'attends pas à autre chose que ce que la réalité permet. Je ne cherche pas le happy end. Je me contente d'œuvrer à contre-courant.

Pensez-vous qu'il y a une issue de sortie pour ces jeunes ?

Ni l'art ni la jeunesse ne sont soutenus au Togo. Peut-être en extraira-t-on du marasme pour le mettre en avant à télé-guignol, lui payer un costard et rajouter à la confusion générale des idées…
Mais on peut toujours trouver des issues. Il y a une sorte de faille par exemple, de Trou dans le Mur, comme dans Stargate, pour s'échapper sans visa et échanger des idées et monter des projets. C'est Internet. Pour ceux en Afrique qui y ont accès (une minorité avec un grand M), internet peut être un outil puissant. Beaucoup s'en servent pour chercher un mari ou une femme fortunés. Il faudrait aussi l'utiliser pour chercher des alliés, monter des plans, s'afficher etc…Ce sont des choses qui commencent à se faire.
Vous pourriez interroger Fo-Mé (Dzoku Kay) là dessus. Je l'ai contacté en 2004 grâce à une page internet qui présentait son groupe. Trois ans plus tard (!!!) nous tournons Doto ensemble. Il y a toujours des failles, des issues, mais il faut viser juste. Et avec le poids qu'ils se trimballent sur le dos c'est loin d'être facile. J'en profite pour leur souhaiter le meilleur…


Qui a produit votre film ?

C'est un ensemble de bonnes volontés. Il y a d'abord eu le retentissement (relatif) de mon premier travail à Conakry (www.fonike.info) qui a beaucoup joué dans la concrétisation de Doto. Mon père a payé l'avion (Doto lui est "secrètement" dédié). Après ce sont des fonds privés, des emprunts à la famille, le minimum. Un ami des débuts, Simon Lienhard, a proposé de m'accompagner avec sa caméra semi-pro. Le film lui doit énormément. Entre autres les magnifiques plans de Job ou de Dellah (y compris le freestyle général), l'étalonnage, l'affiche et un soutien précieux.
Pour l'hébergement, la gestion au quotidien des dépenses, la planification des rencontres, la production exécutive, c'est Dzoku Kay et Djanta Kan qui s'en sont chargés.
De retour en France, c'est un an de montage sans salaire, et là, ce qui produit, c'est la motivation puis la ténacité puis l'espoir, comme chez vous. Je salue au passage Edsik pour sa contribution au son.

Ce documentaire vous place parmi les réalisateurs engagés, donc en quarantaine. Ne craignez vous pas un refus de financement lorsque vous vous déciderez à faire un film apolitique ?

Je ne réfléchis pas comme ça. Tout film véhicule un discours politique, qu'il le veuille ou non. Qui parle ? à qui ? et pourquoi ? J'espère bien trouver des financements un jour, pour pouvoir aller plus loin…

Pensez vous que le rap togolais, esthétiquement parlant, a de l'avenir ?

Oui bien sûr. Le hip hop est un virus mutant et immortel. Qui sait ce qui peut arriver ? Les contraintes que subissent les artistes togolais peuvent générer quelque chose de fulgurant. Regardez la littérature togolaise… Il y a un potentiel énorme au Togo, ce sont les débouchés qui manquent et cela finit par étouffer la créativité. Comme chez nous mais puissance mille.

Avez d'autres projets pour l'avenir ?

Continuer à creuser le sillon de Foniké et Doto, pour voir où il mène. Et affiner le tir.

Par Sitou Ayité
Sources: http://www.africine.org/?menu=art&no=7624


Agakpé Music : Communauté d'artistes africains indépendants